Comment les professionnels du tourisme veulent vous faire lâcher Airbnb
[20 Minutes, par Juliette Bonneau] – Plus qu’une guerre des prix, c’est désormais une guerre de la communication. Après plusieurs années passées à condamner certains modèles «collaboratifs», Airbnb en tête, la filière tourisme veut reprendre la main. Régulièrement accusée de ne pas valoriser suffisamment l’humain et l’authentique, elle compte bien reconquérir le cœur (et le porte-monnaie) des Français.
Un discours qui change
Pour les acteurs traditionnels du tourisme, le temps de l’affrontement avec les plateformes collaboratives semble aujourd’hui révolu. Leur discours s’est assoupli au point de prôner à leur tour les «valeurs» de l’économie du partage. «L’économie collaborative est positive pour le tourisme en général», explique ainsi Laurent Duc, président de la branche Hôtellerie Française au sein de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih).
Outre les mesures prises dans le cadre du projet de loi pour une République numérique, qui ont rassuré la filière, les professionnels ne veulent pas perdre la bataille de la com’. Selon le dernier baromètre Ipsos Axa [1], 56% des Français se disent en effet «intéressés» par la consommation collaborative. Bien que critiquée, l’économie collaborative reste plébiscitée par les jeunes. Ils sont 39% à envisager de louer un logement chez un particulier cet été.
Propriétaire d’un hôtel dans la région de Lyon, Laurent Duc affirme lutter contre le «faux collaboratif»: «Il y a un dévoiement de l’offre de départ. Le principe d’Airbnb était de partager son appartement avec un Parisien pour une nuit ou deux. Aujourd’hui, vous avez des appartements à 1.000€ la nuit!»
Face à ces pratiques et la massification de l’offre, notamment à Paris, l’Umih appelle à la «transparence fiscale». «Nous réclamons l’application de la loi sur la taxe de séjour et le paiement de la TVA», martèle Laurent Duc qui estime qu’il ne devrait pas être possible «d’encaisser un loyer sans le déclarer au fisc».
Reprendre les recettes du collaboratif
Devant l’engouement suscité par un tourisme «pair à pair», jugé plus authentique (et plus économique), les différentes filières du tourisme veulent à présent moderniser leur image. Ainsi, Laurent Duc admet qu’il faut «réinventer la convivialité de l’hôtellerie en France»: «On a beaucoup perdu dans les années 1970-1980 et la création de grands ensembles hôteliers. On a supprimé les salles communes et fait des chambres à l’identique.»
Aujourd’hui, l’hôtelier déclare «développer la personnalisation des chambres», et ce, «malgré les contraintes» en terme de réglementation et d’hygiène. Pourquoi ne pas l’avoir pas fait avant? «Nos établissements croulent sous les engagements, les frais de personnel, les obligations en terme d’accessibilité. Nous n’avons pas eu le temps de repenser notre produit», répond Laurent Duc. Or, il y a urgence. Toujours d’après le dernier baromètre Ipsos et Axa, cet été, 28% des Français se disent tentés par la location de logement entre particuliers, 30% par le covoiturage et 25% par l’échange de services.
A la tête de la fédération des Gîtes de France, Anne-Catherine Péchinot concède de son côté «un souci concernant la distorsion de concurrence» mais insiste sur «l’évolution logique des modes de consommation». Celle qui aime rappeler que «les Gîtes de France ont été les précurseurs du collaboratif», a fait le pari de racheter en mai 2016, la plateforme Good Spot (qui mettait en relation des locaux avec des touristes en quête d’authenticité et d’activités).
«Ca s’est fait assez naturellement car nous partagions des valeurs communes», explique Anne-Catherine Péchinot. «Nous allons garder la plateforme mais la mettre aux couleurs de Gîtes de France. C’est une bonne occasion de proposer d’autres activités à nos clients.» A l’inverse, de nombreuses plateformes collaboratives proposent aujourd’hui des offres de professionnels aux côtés des annonces de particuliers.
Le pair à pair pour faire connaitre son activité
Dans certaines filières, l’arrivée d’offres collaboratives n’est pas vue d’un mauvais œil par les opérateurs traditionnels. C’est le cas dans le nautisme où une petite dizaine de plateformes proposent des services allant de la location de bateau à la journée, à la location d’un navire et d’un équipage pour plusieurs semaines.
«Si louer moins cher permet à plus de gens de naviguer ce sera très bien», confie ainsi Emmanuel Allot. L’administrateur de la Fédération des industries nautiques (FIN) espère que l’arrivée d’un nouveau public encouragera les ports français à «moderniser l’accueil, le service et l’hospitalité», à l’image de «ce qui se fait déjà aux Etats-Unis».
Cette position s’explique notamment par les spécificités de la filière. Pour Emmanuel Allot, le nautisme ne devrait pas connaître une success-story semblable à Blablacar. «Si vous n’habitez pas dans la ville où votre bateau est amarré, vous allez avoir besoin d’un concierge pour préparer l’embarcation et faire un « brief » au locataire. Ce même concierge va peut-être finir par gérer une dizaine de bateaux. On se retrouve donc à recréer une activité classique», explique-t-il.
Preuve s’il en est que ces deux mondes peuvent donc cohabiter. Et ce au moins jusqu’en 2017. Contacté par 20 Minutes, le cabinet de Matthias Felk, secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, confirme qu’un nouveau texte de loi concernant l’économie collaborative n’est pas à l’ordre du jour.